«Certes,
les gens se bousculent, se caressent du regard, se frôlent dans les
avenues mais la cabine téléphonique du café ou de la
poste ne nous donne-t-elle pas un spectacle plus convaincant? D'innombrables
mains tiennent ce récepteur qui garde la tiédeur humaine,
des lèvres différentes ont murmuré devant le même
micro et mêlent, oh sacrilège, des aveux, des noms, des adresses
qui ne devraient jamais se confondre : les noms d'une vieille mère
malade, d'un souteneur, d'un indicateur de police, d'un chef syndicaliste,
d'une maîtresse, d'une cousine qui arrive de province. Sur la cloison
de la cabine, on a inscrit des mots d'espoir, esquissé des graffitis
obscènes, écrit des numéros. La cabine ne se désemplit
pas, l'air ne se renouvelle plus jusqu'à devenir pesant et le téléphone
se prostitue à longueur de journée. Il continue à se
vendre contre un pauvre jeton, éreinté, écuré,
esquinté, tandis que les premiers néons s'allument et que
d'autres consommateurs remplacent les habitués de l'après-midi.
Un téléphone public comme il existe des filles publiques.»35
Pierre Sansot |