Nos bistrots sont de
plus en plus sollicités par les vendeurs ambulants, un parasitisme
toléré par les serveurs et qui se greffe sur l'établissement
pour sucer les quelques liquidités disponibles. Une activité
parallèle à celle du bistrot se déploie. Leurs hottes
sont pleines de surprises. Plus de soirée sans en apercevoir un.
Ils sont de plus en plus nombreux à tisser leur toile sur le quartier,
à constituer leurs réseaux. Exerçant à l'origine
une activité essentiellement nocturne et florale, leur omniprésence
est devenue journalière. Leurs lieux de prédilection : restaurants
et débits de boissons, qui facilitent leur démarchage grâce
à une concentration humaine déjà établie. L'instant
où les gens s'arrachent au flux urbain, où leurs disponibilités
et leurs écoutes sont plus grandes, où la proie est plus vulnérable.
Les colporteurs bondissent d'une table au comptoir, du comptoir à
une table, inlassablement. Ils abordent les consommateurs à grand
renfort de sourires fatigués. Ils sont ballottés d'un côté
sur l'autre, repoussés systématiquement par les refus agacés
provoqués par les nombreuses sollicitations qui rythment la vie citadine
aujourd'hui. A la moindre faiblesse, ils s'accrochent dans l'espoir de séduire
le client. Chaque nationalité s'est spécialisée dans
une marchandise. Les Indiens s'occupent essentiellement des fleurs. Le bouquet
au coin du coude ou rassemblé dans une poche plastique retournée
dans le souci de masquer une marque publicitaire, ils déambulent
de bistrot en bistrot et dirigent leur savoir-faire principalement sur les
couples. C'est bien sûr l'ABC du métier : le refus d'acheter
pour offrir équivaut, pour l'homme à un manque de galanterie
vis à vis de la femme. Cette faiblesse masculine constitue la principale
promesse de vente. L'acte d'offrir ne doit pas être motivé
par un sentiment d'obligation, mais doit se manifester naturellement sans
avoir besoin de se faire écorcher le nez chaque soir par un buisson
épineux. En dépit de ce manque de tact vis à vis du
client, leur absence serait malgré tout vivement ressentie. |
Les Africains se sont
spécialisés dans les babioles en plastique, ces petits objets
articulés et animés par un mécanisme à remonter.
Démonstration à l'appui, ils saisissent leurs crocodiles verts,
actionnent le mécanisme en tournant la clé, puis posent l'animal
sur le comptoir avec un sourire de satisfaction devant ce bout de plastique
qui rampe maladroitement dans les flaques de bières. Deux types d'objets
sont proposés, les uns parce qu'ils bougent tout seuls, la magie
de l'automate est toujours séductrice (crocodiles à ressorts
et grenouilles à soufflets), les autres parce qu'ils brillent (montres
plaquées or, lunettes de soleil, chaînettes...). Certains de
ces camelots sont même surprenants. Sûrement novices dans la
profession ils surgissent à vos côtés pour vous proposer
un étalage de chaussettes méticuleusement disposées
sur leur avant-bras. Les derniers qui hantent le quartier de Belleville
sont les Chinois, exposant dans un classeur à anneaux des produits
pour le moins inattendus tels que des lunettes correctrices. Vous sentant
un peu hésitants ils décident alors de sortir discrètement
d'une poche leurs cartes maîtresses : des petits calendriers de l'année
passée associés à de jolies femmes asiatiques en partie
dévêtues. Tous ces démarcheurs participent à
l'animation du bistrot. Ils sont aujourd'hui menacés par l'exaspération
d'un public sans cesse sollicité. Leur démarche systématique,
voire agaçante, fait partie des rites et de l'image globale du bistrot.
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