LE JOURNAL
«Au bistrot, le journal constitue un lien de plus. Grâce à sa lecture en commun, les habitués ressentent leur solidarité, ils éprouvent qu'ils appartiennent au même milieu (ce qui ne veut pas dire nécessairement à la même classe sociale), qu'ils ont les mêmes centres d'intérêt. Ils se penchent ensemble sur le même titre, sur la même bande-dessinée. L'article prend d'autant plus de valeur qu'ils le commentent en même temps et que leurs regards convergent vers les mêmes lignes, qu'ils ne regarderaient peut-être pas s'ils étaient seuls avec leur journal. (...)
Bien au contraire, le consommateur du café se sert du journal pour prendre ses distances, pour observer les autres à loisirs, sans leur donner trop de prise. (...)
Le passager du snack tient un journal entre les mains, mais il le tient seulement et n'en retient rien. (...) Cruel paradoxe, à peine entré dans le snack où il s'est précipité, il le quitte et lui tourne le dos, en feuilletant un journal aussi vide et aussi illusoire que le snack, plein à craquer de fausses présences et de fausses nouvelles."
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Pierre Sansot