A CHAQUE BISTROT SON PARCOURS | |
«On
accomplit également beaucoup de pas dans un bistrot sous un éclairage
qui change avec les heures qui s'allongent et c'est bien un voyage au bout
de la fumée, de la boisson que l'on peut comparer à d'autres
voyages plus classiques et plus répandus dans la littérature.»
«On ne peut les (les lieux urbains) considérer simplement comme
une portion d'étendue : leur espace se confond avec un parcours temporel
qui constitue d'une façon indissociable, une meilleure prise de leur
aire et un changement de notre être. Et, ce qui prouve à quel
point le parcours n'est pas en eux surajouté, c'est qu'il apparaît
souvent comme le seul moyen de les distinguer les uns des autres. (...)
les grands lieux urbains demandent à être parcourus d'une manière
déterminée et qu'ils se distinguent par le parcours qu'ils
sollicitent.»22 L'approche kinesthésique d'un lieu est une démarche liée au toucher corporel global de l'espace. Le corps est à l'écoute du vide qui l'entoure. Cette expérience spatiale de notre corps se perçoit statiquement, mais également sous forme de trajet, de parcours. On ne pénètre pas dans tous les bistrots de la même manière et leurs intérieurs ne sont pas vécus identiquement. Notre corps mémorise ces parcours inconsciemment pour leur associer une image, un nom, une adresse. Ainsi l'ampleur des mouvements effectués comme celle des distances parcourues, constituent une source d'informations élucidant les sentiments de bien-être ou mal-être que procure chaque lieu. Prenons l'exemple d'un parcours possible à l'intérieur du bistrot : rejoindre les toilettes. Les toilettes sont excentrées, toujours en périphérie de la salle. C'est une des principales occasions de déplacement dans les bistrots, puisque le reste du temps est consacré à la consommation à poste fixe. Par un simple parcours, le bistrot dévoile ses multiples facettes, met en évidence les obstacles. Combien de passages sont recensés ? Faut-il descendre ou monter des marches ? L'escalier est-il droit ou en colimaçon ? Faut-il contourner un obstacle ? Faut-il baisser la tête, se voûter légèrement ? Faut-il longer le comptoir ? Autant de possibilités dont le corps s'imprègne. A toutes ces données physiques s'adjoignent les données humaines. Certains soirs, l'affluence que connaissent certains bistrots complique le déplacement. Le nouveau trajet se dessine plus chaotiquement. Comme nous le verrons plus loin, le comptoir, objet central, influence la notion de parcours. La circulation dans l'espace ne se fait pas aussi librement, elle respecte une série de règles, de consensus culturels. Chaque bistrot est constitué de deux groupes d'individus : la clientèle, le personnel, séparés par une paroi poreuse (le comptoir) ne filtrant qu'un certain type d'individus (le personnel). La zone située derrière le comptoir étant strictement interdite à la clientèle, celle-ci n'a pour expérience du bistrot que celle qui lui a été attribuée. Le personnel y circule librement. L'approche kinesthésique des deux groupes est alors radicalement différente. De plus, le personnel est en contact permanent avec tout l'espace, alors que la clientèle est confinée dans une certaine zone ponctuellement dans le temps. A la notion d'espace s'ajoute, en effet, celle du temps. Les consommateurs n'ont du bistrot qu'une expérience courte sur la durée totale d'une journée, ils n'en perçoivent qu'une représentation particulière. En s'y attardant du matin au soir, on s'aperçoit de la richesse des situations, de la variété d'atmosphères offerte quotidiennement. |
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